Une carrière professionnelle moderne, dans des secteurs assez concurrentiels, est de plus en plus segmentée par des expériences plus courtes que les générations précédentes. Rares sont celles et ceux, de la génération Y notamment (nés entre 1980 et 2000), à aligner les décennies dans la même entreprise. J’ai d’ailleurs en tête une question inquisitrice d’un recruteur sur ma capacité à demeurer plus de deux ans dans la même entreprise. Pourquoi cette bougeotte ? Caractère instable ? Carence de loyauté ? De ce fait, l’instant fatidique de la démission est vécu plus que fréquemment et devient un enjeu dans un monde où l’information reste peu secrète, où le mauvais management de telle entreprise bruisse dans les couloirs de la défense.

Longtemps, la relation salarié/employeur a été perçue comme inégale – c’est d’ailleurs ce que le droit du travail enseigne en premier. Mais l’émergence des réseaux sociaux, des réseaux professionnels en ligne et d’une volonté intime d’épanouissement dans le travail, inverse la balance peu à peu, et si pendant longtemps la réputation d’un employé a servi de soupape de menaces diverses et d’actes de manipulation, l’employeur – le patron, le boss – dans sa quête de profils rares et exigeants, tend à voir sa propre image écornée dans le cadre d’une démission mal (di)gérée.

Or, les démissions ne cessent d’augmenter avec des mouvements de masse telle que la grande démission : 38 millions d’Américains ont démissionné en 2021 et la France n’est pas en reste avec une augmentation de près de 50% des démissions entre 2021 et milieu 2022, et 6% entre début 2022 et milieu 2022. D’autre part, le secteur tertiaire remporte la palme d’or des ruptures conventionnelles avec près de 86000 ruptures conventionnelles en 2020, contre environ 50000 en 2015 (72% d’augmentation).

Egalement, saviez-vous que les femmes démissionnent plus que les hommes ? D’après Sophie Aubard, directrice des ressources humaines et cofondatrice de l’Institut du salarié, dans son interview du magazine Marie Claire en 2020 « Les femmes perçoivent plus tôt que les hommes la dégradation de leur situation. Même si elles occupent un beau poste, elles préfèrent y renoncer plutôt que de continuer à se laisser humilier, alors que les hommes se cramponnent à leur fauteuil parce qu’ils sont plus attachés à leur statut social. »

Partant de ces éléments chiffrés qui démontrent un évènement courant du monde du travail en plein progression, comment le gérer ?

Je vous propose quelques règles afin de garantir de part et d’autre un départ dans les règles de l’art, surfant sur le principe du gagnant – gagnant et de la réputation sauvegardée.

A l'attention des employeurs

Règle 1 : Un employé qui a annoncé sa démission demeure encore un employé (au maximum 3 mois)

Ne le traitez pas comme un paria, la gestion de la fin d’un poste est tout aussi importante que son entrée. C’est l’occasion de clôturer une relation de travail et comme toute relation, la fin de cette dernière laissera une marque durable sur l’ensemble de l’expérience du salarié dans votre entité. De plus, si dans certains secteurs d’activité soumis à un fort turnover tout le monde se connaît, n’oubliez également pas que vous vivez en tant qu’employeur à l’heure de Glassdoor, Twitter et compagnie. Un employé ayant été mal traité suite à l’annonce de sa démission peut partager son expérience plus facilement et plus largement, et de façon anonyme, compliquant vos facilités à recruter dans un milieu concurrentiel. Enfin, les actes malveillants ou de négligence d’un salarié démissionnaire en colère peuvent à la longue avoir des effets néfastes sur l’activité, surtout après son départ.

Règle 2 : Lorsqu’un employé souhaite partir, laissez-le partir sans encombre

Le départ d’un salarié peut se faire sous plusieurs formes. Démission avec préavis partiel, démission sans préavis, rupture conventionnelle… Parfois c’est transparent pour vos objectifs, parfois ça tombe mal et la tentation de retenir malgré son gré le démissionnaire et d’exploiter au maximum son temps de présence atterrit souvent dans la bannette de la mauvaise idée. Votre employé n’est pas votre esclave, c’est une personne porteuse de droits, d’envies et de volonté à écouter. Il n’est pas très productif de rendre une fin de relation professionnelle conflictuelle.
Story time : j’ai le souvenir d’une demande de préavis partiel dans une de mes expériences passées qui visiblement avait été vécue comme un crime de lèse-majesté par mon employeur. Pourtant, les conditions d’un départ anticipé se justifiait : ma mission s’était terminée plus tôt que prévue, aucune autre ne pouvait se caler sur le dernier mois de préavis, toute la transmission de compétences avait déjà été réalisée. En allant au bout du préavis, j’allais être payée à ne rien faire au lieu de démarrer plus tôt mon emploi suivant. L’animosité ressentie suite à ma demande a clairement assombri l’image pourtant bonne que j’avais du management et de cette entreprise jusque-là (que je n’ai pas recommandée, en contrepartie).

Règle 3 : La gestion de l’image est bilatérale

Avant l’inversion du rapport de force employeur/employé, le salarié avait tendance à devoir jouer profil bas lors d’une annonce de départ, pour conserver une bonne réputation. Dans les temps actuels, il est rafraichissant de constater que les entreprises se réalisent que la gestion des départs fait aussi partie de leur image. Alors, cher employeur, vous avez donc intérêt à bien organiser votre chaîne de validation au moment des départs et à correctement briefer les responsables d’équipe de proximité pour que les règles soient appliquées. Evitez les menaces ou autre chantage à la réputation, qui se pratiquent malheureusement encore, pour essayer de tenir en laisse vos salariés démissionnaires. Il serait dommage d’écorner votre réputation mais également de vous prendre une procédure Prud’hommes de dernière minute…

Règle 4 : Ne prenez pas personnellement la démission d’un salarié

Ce point s’adresse tout particulièrement au responsable qui reçoit la démission d’un collaborateur. Ce dernier quitte l’entreprise, il ne vous quitte pas vous. Donc, évitez de réagir comme un amoureux ou une amoureuse rejeté(e). La déception ou l’inattendu du départ d’un collaborateur se doit d’être traité rationnellement, avec professionnalisme. Il n’est donc pas nécessaire de mettre des bâtons dans les roues d’une personne désirant partir, de faire du chantage ou de montrer de la malveillance pour démontrer un quelconque pouvoir. Vous ne savez pas ce que deviendra cette personne qui part, mieux vaut éviter de vous la mettre à dos inutilement, surtout si cette dernière quitte son poste à cause de vos méthodes de management… N’aggravez pas votre cas !

Règle 5 : En France, les arrêts maladies, ça existe

C’est le joker non officiel du salarié mal traité en toute circonstance, dont le cas d’une annonce de démission qui mène à du harcèlement. Et voilà 3 mois d’absence qui conduisent à l’impossibilité de réaliser un passage de connaissances régulier, avec derrière d’éventuelles perturbations dans la continuité d’activité de l’entreprise. Qu’y gagne un employeur mal luné par la démission ? Rien du tout ! Alors respectez vos salariés, même démissionnaires.

Règle 6 : Utilisez la situation pour vous remettre en question

Des employés motivés qui rapidement déchantent et s’en vont ? Des employés qui partent par poignée ? Des employés motivés mais qui facilement acceptent des offres de l’extérieur ? Et si vous vous remettiez en question au lieu de prendre mal les choses ? Etes-vous compétitif à propos de la rémunération de vos collaborateurs ? Vos méthodes de management sont-elles pertinentes ? Vos missions correspondent-elles aux envies de vos collaborateurs ? Un cas de démission, voire plusieurs, c’est un signal qu’une entreprise ne devrait jamais mettre sous le tapis.

A l'attention des employés

Règle 7 : Ne vous culpabilisez pas

Vous avez le droit d’accepter un nouveau poste mieux payé, plus intéressant. Vous avez le droit de quitter un environnement plaisant et des collègues sympas. Vous avez le droit de quitter un emploi qui ne vous convient pas. Que ce soit après 1 mois, 6 mois ou plus de 10 ans, vous avez le droit de quitter un emploi qui ne vous satisfait ni financièrement ni professionnellement.
Personne ne vivra votre vie à votre place, ne prendra votre vie en charge à votre place, donc si l’opportunité d’une meilleure existence s’offre à vous, allez-y sans remords.

Règle 8 : Partez dans les meilleures conditions

Réglez vos dossiers, organisez votre transfert de connaissance. Soyez irréprochable afin d’éviter les entourloupes d’un management amer. Et n’oubliez pas : le monde est petit.

Règle 9 : Ne prenez pas les choses pour vous

J’ai mis un peu de temps à le comprendre mais démissionner pour une belle opportunité est certes une bonne nouvelle pour vous mais pas forcément pour les autres (vos collègues, mais aussi certains amis, proches). Vous pouvez subir des réactions d’envie, ou de malveillance, des reproches de celles et ceux, souvent anciens de l’entreprise, qui voient les départs comme des trahisons, parce qu’en réalité, ils ne parviennent pas eux-mêmes à partir, par manque de volonté ou d’opportunité. Eloignez-vous des personnes qui vous mettent mal à l’aise, et si besoin, pensez à remonter les cas d’harcèlement.

Règle 10 : Si vous avez des doutes, consultez un mentor

Oubliez vos amis ou même des collègues de grades équivalents comme confidents. Afin de gérer de potentiels conflits avec votre management dans le cadre d’une démission ou dans le but d’aiguiller certaines prises de position quant à l’annonce elle-même, armez-vous des paroles sages de votre mentor, cette personne que je décrivais dans cet article «Mentorat : mais que ferait Michelle Obama». Vos proches et votre famille, n’ayant jamais marché dans vos chaussures professionnelles, peuvent vous induire en erreur, même avec la meilleure bienveillance. Ce sera aussi l’occasion d’un avis personnalisé, prenant en compte les spécificités de votre situation qu’il ait assez difficile de traiter dans un article aussi généraliste que celui-ci.

Et si cela se passe hyper mal ?
Chantage, dénonciation calomnieuse, prime de performance annulée, demande justifiée de préavis partiel ou de rupture conventionnelle refusée… Malgré toute la bonne volonté du monde, il arrive que l’on tombe sur un management qui ne comprend pas les articulations du travail moderne, du respect dû aux collaborateurs et aux choix professionnels. Dans tous les cas, gardez votre calme malgré les décisions qui peuvent vous sembler injustes. Tant que la réaction de votre entreprise ne tombe pas sous le coup de la loi, gardez en mémoire que le préavis ne dure en général pas plus de 3 mois. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer avant de rejoindre votre opportunité plus réjouissante.
Aussi, une mauvaise gestion du départ d’un employé sera presque toujours majoritairement à la défaveur de l’employeur pour les secteurs prisés : la menace d’un arrêt maladie, la motivation et l’implication au plus bas, une mauvaise réputation auprès de potentiels futurs candidats, et donc, des difficultés de recrutement et de remplacement des postes non pourvus. A terme, un impact sur le chiffre d’affaires. Cher employeur, montre-toi vigilant !