Le milieu professionnel pour un certain nombre d’entre nous est l’antithèse d’un fleuve tranquille. C’est l’univers dans lequel nous passons le plus de temps, qui est nécessaire au paiement des factures, à l’entretien d’une famille, au maintien de notre niveau de vie et de nos loisirs. Primordial donc. Dans le cadre du salariat (qui concerne tout de même près de 89% des travailleurs français), c’est techniquement un endroit où vous acceptez, contre rémunération, de mettre à disposition votre force de travail, votre temps et son organisation au service d’une entreprise, sous sa supervision et son droit de sanction – oui, le fameux lien de subordination. C’est également un endroit où vous côtoyez des personnes partageant le même sort que vous – vos collègues, vos supérieurs hiérarchiques. Généralement vous ne les choisissez pas et vous devez vous accommoder de leurs caractères et de leurs manies. Et cela 7h, 8h, voire plus par jour, cinq jours par semaine.
Dans ce milieu nécessaire à votre (sur)vie et votre acceptation sociale, il arrive que les choses se passent bien, voire très bien, que votre épanouissement soit à son apogée et qu’un équilibre symbiotique s’établisse avec les autres pans plus personnels de votre vie – quand vous en possédez une.
Malheureusement, il arrive à tous, dans un cadre aussi restreint et aléatoire qu’essentiel, d’éprouver à certains moment des doutes, voire du mal-être. Vos collègues ne vous plaisent pas, vos supérieurs ne vous inspirent pas, vos tâches quotidiennes éclatent un à un vos neurones , votre implication n’est pas reconnue à sa juste valeur, le temps vous semble long… Les raisons dépeignant un enfer en formation sont nombreuses !
Car humain malgré une ambitieux industrielle et productiviste, le monde du travail salarié est souvent la source de luttes inhérentes aux passions tristes qui mènent aux scandales et dérives connus de tous : burn out, bore out, harcèlement, humiliation, etc. Alors, que faire quand on est désemparé et que l’on a besoin de conseil ? Qui consulter pour une opinion avisée ? Si vous avez bien lu le premier article de ce blog (Mentorat : mais que ferait Michelle Obama ?), votre mentor est tout désigné pour supporter cette lourde charge que celle de vous aiguiller vers la meilleure alternative/solution pour résoudre le problème professionnelle que vous rencontrez.
En l’absence de ce mentor (ce qui a longtemps été mon cas), la majeur partie des travailleurs se tournent vers leur conjoint(e), des amis, la famille. Ou Google, tiens. Mais sont-ils de bons conseils ?
Il se trouve que j’ai à plusieurs reprises au cours de ma vie professionnelle eu à consulter mon entourage pour obtenir des conseils avisés. Les retours ont été divers, parfois éclairants, souvent déstabilisants, au point de m’enfoncer encore plus dans mon désarroi. Parmi ce florilège, voici quelques phrases que vous avez peut-être vous-même entendues et qui méritent d’être décortiquées (pourquoi on vous a dit ça et ce qu’on aurait dû vous dire à la place) pour prendre du recul sur votre situation professionnelle litigieuse – et éviter de parfois bloquer des numéros dans la seconde ou vous mettre la corde au cou.
1. Ne prends pas les choses personnellement
Cette phrase a l’air inoffensive, dite comme ça et plutôt sensée. Mais regardez de plus près. Si on ne prend pas les choses personnellement, comment alors ? Végétalement ? Animalement ? Meublement ? Chosement ? Alienement ?
Le monde de l’entreprise essaye parfois de nous faire croire que nous sommes des robots absolument blindés, qui ne doivent ressentir aucune émotion et garder un sang-froid à toute épreuve. Sauf que vous êtes une personne a priori correctement câblée à vos émotions. Lorsque certaines personnes s’adressent à vous avec humeur, intentionnellement ou pas, ils font de vous un réceptacle. C’est vous qui prenez en pleine figure les mauvaises énergies qui en découlent, les décisions bancales, injustes, démotivantes. Certes, cela aurait pu indistinctement arriver à votre voisin, mais en l’occurrence ce n’est pas le cas. Vous avez en revanche la capacité de ne pas exposer toute votre âme à ces ondes néfastes et à ne pas vous y enfermer. C’est souvent le message sous-entendu mais mal exprimé.
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : Si c’est une personne bienveillante, elle peut simplement ne pas savoir comment réagir à votre situation et vous balancer cette banalité. Dans le cas contraire, cette personne n’en a rien à faire de vos ressentis personnels. Changez d’ami.
Ce qu’on aurait dû vous dire : Je comprends que cette situation t’ait atteint personnellement car après tout tu en as été le réceptacle. En revanche, peut-être que tu n’en étais que le destinataire indistinct. Si cela a un impact trop négatif et répété sur toi, tu devrais commencer par en parler avec l’individu à l’origine de cette situation pour qu’elle ne se reproduise pas.
2. Pourquoi te plains-tu ? Tu ne vois pas le chiffre en bas à gauche de ta fiche de paie ? C’est tout ce qui compte !
Alors ça… Vous confiez, tremblant, votre malaise au travail à un confident et voilà ce qu’on vous répond. Cela peut être destructeur dans certaines situations. Imaginez un cadre d’Orange France Telecom au bord du suicide entendre ce genre de phrase culpabilisante ?
L’argent ne fait pas tout dans la vie. Surtout quand la dépression nerveuse s’immisce, vous empêche de sortir de chez vous et vous fait pleurer le matin avant de partir bosser… Croyez-moi, votre salaire n’a aucune importance dans ces moments-là !
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : Un manque clair d’empathie et un attachement à la stabilité financière voire une peur panique de la pauvreté. Dans de rares cas, de la condescendance. Et ce sont souvent les personnes qui vous aiment le plus qui peuvent avoir ce genre de remarque malheureusement. En revanche, on peut poser un regard plus sévère sur un ami qui dirait cela, car ce dernier n’est a priori pas aveuglé par ce réflexe reptilien et largement paradoxal d’une mère ou d’un père vis-à-vis de la sécurité financière de leurs enfants au détriment de leur bien-être.
Ce qu’on aurait dû vous dire : Si ton mal-être est trop présent, aucun montant ne devrait justifier que tu te sentes aussi mal. Est-ce que le salaire qu’on te verse vaut vraiment ce dérangement ? Si ta situation financière est trop difficile, est-ce que tu peux envisager des solutions pour quitter cet emploi à court ou moyen termes ? Si tu as peur de perdre un bon salaire, rassure-toi, il y a d’autres endroits où tu peux gagner l’équivalent, voire plus, et être mieux traité. Crois en toi !
3. Tu t’en fous, profites seulement des voyages professionnels et des avantages
C’est une variante de la remarque précédente. Par votre statut, vous pouvez être amené à bénéficier en plus de votre rémunération de nombreuses « avantages » (ventes au personnel, comité d’entreprise, nombreux déplacement professionnels dans des lieux sympas). Ce qui était mon cas au moment de la réception de cette remarque. En ce qui concerne les voyages, on oublie que dans certaines entreprises les déplacements professionnels ne sont que la continuité du travail avec souvent des attentes supérieures et parfois problématiques quant au droit du travail (charge de travail décuplée, peu de droit à la vie privée). C’est rarement pour vraiment faire du tourisme.
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : On revient sur les profils précédents, famille, ami proche. Dans ce cas particulier, j’ajouterai que certaines personnes moins bien loties que vous fantasment légèrement les avantages offerts par votre travail et vous conseillent en conséquence.
Ce qu’on aurait dû vous dire : Est-ce que les avantages dont tu bénéficies couvrent finalement les problèmes que tu rencontres actuellement ? Si oui, peut-être en effet que tu devrais mettre un peu d’eau dans ton vin. Sinon, c’est que le coût de ta force de travail est trop élevé malgré ces contreparties. Les voyages c’est super, mais en fait tu peux largement voyager avec tes propres moyens et vraiment en profiter.
4. Supporte seulement et résigne-toi, on n’a pas toujours ce que l’on veut dans la vie
Alors, là, je me souviens très bien de cette remarque entendu durant ma période d’errance professionnelle, quand ce que je faisais n’avait aucun sens, ne me donnait aucune opportunité d’évolution, de considération et que toute reconnaissance nécessitait une bataille acharnée, sans le support d’un sponsor.
Et dans ce moment où ma combattivité pour m’en sortir et trouver des solutions étaient à son maximum, une connaissance me répliqua cette phrase couperet : il faut se résigner. On n’a pas toujours ce que l’on veut dans le vie, certes, mais à son échelle, on a la légitimité de tendre à mieux, à plus juste et de quitter une situation professionnelle qui ne convient ni à nos compétences, ni à nos attentes.
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : Cette personne est peut-être dans votre situation, à des degrés peut-être différents et par manque de courage, s’est résigné. Votre envie de changement résonne sans doute avec cet abandon et cette phrase est une façon pour cette personne de rassurer son choix et d’éteindre vos sursauts justifiés.
Ce qu’on aurait dû vous dire : Ce n’est pas facile de rencontrer ses attentes dans le milieu pro, il y aura toujours des éléments que l’on apprécie et d’autres qui nous donnent envie de tout lâcher. Quelle est la part de l’un et l’autre ? Car il faut un certain équilibre. Si tu sens qu’il y a un débordement d’évènements qui te dérangent, il faudrait en effet t’interroger sur la suite, peut-être changer d’entreprise, de secteur, de métier, etc.
5. Arrête de te plaindre, tu te plains trop !
Lorsque l’on n’est pas heureux au travail, on a tendance à ne relater que des situations professionnelles peu inspirantes. Et cela peut s’apparenter à de la plainte perpétuelle. Ce qui est perçu comme péjoratif dans le regard de l’autre . Vous passez alors pour une victime qui se complait dans cet état. Cette conclusion est problématique dans certaines situations car parfois, on peut se battre de toutes ses forces pour améliorer sa situation (augmenter ses compétences, travailler son intelligence émotionnelle, changer d’entreprise, demander une promotion, etc.) et rencontrer malgré tout de nombreux désenchantements. Parce que le monde du travail est un monde d’humains non dénués de passions tristes. Et dans une telle situation, quand le désemparement, le découragement prennent de l’amplitude, se voir répliquer de façon sous-entendu qu’on est une victime qui se complait dans son malheur, au lieu d’être soutenu moralement, peut alors être d’une violence inouïe.
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : Que cette personne est d’une part lassée de vos mésaventures professionnelles mais surtout qu’elle manque de profondeur de champ, surtout lorsque de toute évidence vous vous battez pour vous en sortir. Elle ne sait peut-être pas (ou a décidé d’ignorer) que les plafonds de verre existent réellement pour certaines personnes, que vos « plaintes » sont surtout des éléments concrets illustrant les défaillances de certaines entreprises.
Ce qu’on aurait dû vous dire : Tu ne t’en es peut-être pas rendue compte, mais tu t’indignes beaucoup de ton travail depuis trois ans, quelle que soit l’entreprise d’ailleurs. Et à chaque fois, les faits que tu relates justifient ta colère… Est-ce que tu t’es posé la question d’où cela pourrait venir ? Es-tu avec les bonnes personnes ? Penses-tu que cela soit en lien avec ta façon de travailler ? La personne que tu es ? Peut-être affrontes-tu des situations de discrimination, réfléchis-y.
6. Reste dans ton job, tu ne peux pas changer de voie de toute façon tu n’as pas assez d’argent
Suite à de nombreuses déceptions professionnelles, vous pensez à démissionner, changer brutalement de vie et vous extirper d’une situation qui vous bouffe et vous pousse limite au suicide. Quitte à partir sans job derrière, votre santé mentale et physique primant sur tout le reste. Mais voilà, au détour d’une conversation avec un proche, cette phrase décourageante est prononcée, non sans incidence sur votre motivation.
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : Une personne qui a une forte aversion au risque et qui peut-être vous sous-estime.
Ce qu’on aurait dû vous dire : C’est courageux de souhaiter quitter ce boulot qui ne te convient pas et qui te fait tant de mal. Plutôt que de démissionner, est-ce que tu as pensé à une rupture conventionnelle pour sécuriser ton départ ? Cela t’aidera sans doute à prendre ton envol avec plus de sérénité, c’est une option à considérer.
7. Oublie le reste (le comportement de tes collègues à ton égard) et poursuis ta carrière
Il arrive que ces collègues que vous ne choisissez pas deviennent la source d’un tourment lancinant au travail, au point où, ostracisé (e), vous êtes de moins en moins en capacité à réaliser votre travail correctement. Le «tu vas à l’école pour apprendre, pas pour te faire des amis » se transforme en « tu vas au travail pour gagner ton salaire, pas pour que tes collègues soient tes amis » avec les années qui passent. Souvent prononcés par des parents pensant bien faire, c’est un des pires conseils que j’ai entendus. Car nous sommes tous des animaux sociaux, notre environnement compte, quoi que nous fassions. Il est très difficile de nous abstenir de considérer les autres humains autour de nous au nom d’intérêt supérieur comme le salaire payé à la fin du mois. Il ne s’agit pas ici de devenir le meilleur ami de vos collègues, mais quand une ou plusieurs personnes de votre travail se liguent contre vous, « oublient » de vous soutenir pendant les réunions, vous laissent dans la panade pendant vos présentations, ne vous adressent plus la parole, pas facile d’avoir envie de passer 7 voire 10 heures en leur compagnie, n’est-ce pas ? L’enfer c’est les autres, Sartre nous avait prévenus !
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : C’est votre mère/père qui aimerait que vous soyez un robot pour ne pas souffrir à cause des autres (et du coup, eux non plus). Mais ce n’est pas possible, vous avez un cœur et des neurones dédiés à la captation des émotions. Et si cette remarque vient d’un ami, mais changez d’ami !!
Ce qu’on aurait dû vous dire : A quel point tes collègues interfèrent dans ta réussite ? Est-ce que tu as pu échanger avec lui/elle pour savoir s’il y a un malentendu ? Si cela persiste et que ta hiérarchie ne fait rien, pense à remonter cela aux ressources humaines, voire à constituer un dossier pour harcèlement et discrimination. Dans tous les cas, cherche un autre job qui pourrait mieux te considérer.
8. Toi tu n’as pas souffert en traversant la méditerranée ! Tu ne t’es pas battu pour venir en France et y faire des études !
Remarque WTF (What The Fuck, ndlr) du même acabit que « oui mais toi tu n’es pas handicapé », « oui mais toi tu couds pas des vêtements à 10cts dans un atelier clandestin du Bangladesh », etc.
Sans commentaire. Alors là, fuyez. Quand une conversation portant sur vos difficultés professionnelles dérive brutalement sur combien d’autres personnes de par le monde souffrent plus que vous, fuyez.
Ce que cela dit de la personne qui vous dit ça : Une personne qui n’est pas là pour vous écouter ni vous conseiller. Et sans doute, elle ne vous respecte pas. Passez votre chemin.
Ce qu’on aurait dû vous dire : Tout sauf ça.
Au travers de ces quelques exemples, j’espère que vous saurez mieux vous entourer et décortiquer les conseils des uns et des autres 😉