Ce monde impitoyable du travail. Similaire parfois à un labyrinthe peuplé de centaures et de dragons prêts à vous dévorer à la moindre mauvais pas, nous sommes nombreux à nous retrouver dans le questionnement le plus complet quand les situations difficiles se présentent : que faire ? quelle voie choisir ?

Ces situations difficiles sont plurielles : la gestion d’une situation de conflit, le choix d’une opportunité au détriment d’une autre, le développement d’une carrière, d’une formation ou encore la poursuite d’une reconversion.

Dans ma quête personnelle, il m’est arrivé de me poser à plusieurs reprises cette question : Mais que ferait la si brillante et confiante Michelle Obama si elle était à ma place ?

Loin du fleuve tranquille, le salarié ou l’entrepreneur est constamment amené à prendre des décisions pour atteindre ses objectifs quels qu’ils soient. Qui n’a pas rêvé dans ces moments-là d’avoir le secours d’une personne plus sage, plus expérimentée, pour apporter de la lumière aux méandres quotidiens de la vie professionnelle afin d’éviter l’impasse ? Oui, je fais bien référence ici au mentor.

Figure tutélaire, exploitée dans bon nombre de fictions anglo-saxonnes à succès – la série Suits notamment qui en fait l’axe de sa narration –, elle brille par sa quasi non-existence dans les techniques et le vocabulaire du management à la française. Si hommes comme femmes sont concernés par cette absence, il s’avère que les femmes en souffrent davantage dans la conduite de leur carrière, ne bénéficiant qu’à de rares occasions de l’édification organique d’un lien mentor/mentoré. En effet, si le mentorat au masculin semble s’exercer de façon tacite,  faisant appel au passif gréco-romain occidental de l’homme vieux mentorant l’homme jeune – ou simplement à la nostalgie de l’homme vieux vis-à-vis du jeune loup –, le mentorat  dédié aux femmes peine à se consitutuer et prendre un axe systémique.

Dans l’exploration de l’origine des différences professionnelles et salariales persistantes entre les hommes et les femmes, la place du mentor revêt selon moi un élément de réponse central, peut-être plus fort qu’un éventuel sexisme primaire grabataire.  Mais dans un contexte où les coachs privés foisonnent, il faut s’accorder sur la nature de ce même mentor, sans quoi, les retombées positives de son accompagnement auprès des femmes ne serait pas correctement identifiés.

1. C'est quoi un mentor ?

« Conseiller, guide. »

Le terme mentor comme il nous est parvenu est lié à l’Odyssée d’Homère, où l’un de ses protagoniste, Mentor, est un ami de confiance d’Ulysse auquel ce dernier laisse la charge de l’éducation de son fils Télémaque. A la fois conseiller et précepteur, Mentor laisse ainsi le souvenir de son nom, par la suite, rendu célèbre par les aventures de Télémaque de Fénelon (1699).

Cependant, cette origine sémantique grecque n’élude pas que cette pratique est assez répandu ailleurs dans le monde sous d’autres formes et bien avant la civilisation grecque antique. A titre d’exemple, chez les Zoulous d’Afrique du sud, les jeunes membres passent jusqu’aujourd’hui du temps avec les anciens de la tribu qui leur prodiguent nombreux conseils et directives. Dans les peuples swahilies, un membre de la communauté n’appartenant pas à la famille se voyait autrefois confier un rôle spécial dans l’éducation d’un enfant et portait le nom de Habari gani menta « la personne qui demande ce qui se passe ».

De façon concrète et appliquée à votre carrière professionnelle, une définition globale suggère que le mentorat consiste à l’accompagnement d’un mentoré par une personne expérimentée, le mentor, pour l’aider dans son intégration professionnelle ainsi que son développement. Il s’agit bien souvent de transmission, d’apprentissages, de savoirs, à la fois savoir-faire et savoir-être. Certaines définitions font mention d’un caractère confidentiel et d’un lien formel ou non. On imagine une relation de confiance, parfois d’admiration du mentoré envers le mentor, qui s’avère assez intimiste.

En partant de là, le caractère financier d’un tel lien, vendu par certains infopreneurs et coachs, m’a toujours déranger pour son aspect « prestation de service. Est-ce que vous rémunéreriez un ami pour son temps et ses conseils ? J’ai en mémoire une conversation plutôt houleuse il y a quelques années avec une « coach » en développement d’entreprise qui voulait m’inciter à acheter son service de mentorat, chose à laquelle je répliquais que le mentor pour moi ne pouvait se monnayer, car sa nature même, placée dans une relation de confiance, ne peut appeler à une relation tarifée qui brouillerait le message, la confiance, et l’implication. Ce qui n’est pas le cas du coach, qui exerce un métier, rémunéré à juste titre.

J’admets ce point de vue comme étant très personnel, si vous pensez différemment, écrivez-le en commentaire.

2. Pourquoi le mentorat est particulièrement salutaire pour les femmes

Chaque année nous avons droit à la statistique officielle sur les égalités de salaire entre les hommes et les femmes (environ 15% globalement tout secteur confondu d’après les Glorieuses en 2022) le rappel de l’existence du plafond de verre et … peu de solutions pour comprendre les mécanismes d’une situation qui perdurent et encore moins les solutions qui vont avec.

Ce que l’on oublie de mentionner  c’est l’existence d’un cadre à la fois éducatif et sociétal qui n’encourage pas les jeunes femmes à valoriser pleinement leur compétence et leur donner confiance dans leur capacité à atteindre leur objectifs. C’est là où intervient la force du mentorat et ces quatre principaux bénéfices : une amélioration de la confiance en soi, l’ouverture à un réseau, de meilleurs choix de carrière, la rupture de l’isolement.

La confiance en soi tout d’abord. D’un point de vue compétence, rigueur et performance, il n’y a pas à dire, les femmes n’ont rien à envier à leur homologues masculins et parviennent bien souvent à les dépasser. En revanche, combien de fois ai-je croisé des collaborateurs hommes moins rigoureux, moins compétents  mais dégageant une telle force de persuasion et de confiance en eux lors de réunions de présentation, au cours desquelles mon manque de confiance en moi me ratatinait sur mon siège, écrasée par la comparaison ? Si gagner confiance en moi a demandé des efforts colossaux, je vois combien cela m’a ralenti dans mon évolution et la mise en avant de mes capacités. Dans un environnement où les « soft skills » (je déteste cette expression) sont argument à justifier le manque d’accroche professionnelle, l’accès à un mentor qui saura épauler, écouter, rassurer, booster, aiguiller dans ce sens est d’autant plus primordiale pour les femmes qu’il y a toute une liste de mauvais réflexes éducatifs et sociétaux, ne les plaçant pas encore dans un degré d’estime nécessaire,  à rattraper.

Deuxième élément justifiant le pouvoir incroyable du mentorat sur le parcours des femmes : la capacité à se créer un réseau, à rencontrer les bonnes personnes. Pour évoluer, dans sa propre affaire ou au sein d’une entreprise, le talent seul ne suffit pas. Bien souvent certaines rencontres seront les leviers indispensables à votre ascension, certaines opportunités uniques vous ouvriront des portes insoupçonnées. Et cela bien souvent grâce à l’entremise d’un mentor de confiance qui croit en vous. Lorsque l’on démarre sa carrière, a priori on ne connait pas grand monde en dehors de ces coreligionnaires. Les jeunes hommes professionnes ont le même challenge, me direz-vous. Sauf que le terrain démontre qu’en l’absence d’une culture systémique du mentorat, le jeune professionnel masculin sera plus aidé par un top management historiquement composé massivement d’hommes. Un mentorat dit organique se mettra en place, le regard de potentiels mentors se tournant souvent vers ce nouveau jeune loup qui leur rappelle leur début – avec nostalgie. Et ce jeune loup est rarement une jeune louve, même si heureusement, ce cas de figure peut tout de même se présenter malgré les poncifs sexistes qui rendent suspects tout rapprochement entre un homme de pouvoir, âgé, et une jeune femme ambitieuse.

D’autre part, le mentor est cette oreille à même d’entendre des retours d’expérience peu orthodoxes, traduisant des situations émotionnelles fortes qui ne sauraient être transmises sans risque à votre supérieur hiérarchique. En effet, que faire lorsque vous êtes confrontée à une discrimination qui ne dit pas son nom ? Quand, en étant parvenu à un poste à responsabilité à la force de vos bras, toute une équipe vous manifeste une animosité injustifiée ? Que se répètent des situations indignes mais toujours à la limite du droit du travail et que votre management ne vous défend pas ? Toutes ces situations me sont arrivées ces dernières années et l’absence d’un mentor m’a, je pense, coûté autant en confiance en moi qu’en évolution de carrière. Car vous tourner vers vos amis, qui ne baignent pas toujours dans le subtilité de votre univers professionnel, ne sera pas toujours d’un grand secours (je vous invite d’ailleurs à lire un article dédié aux pires conseils qui m’ont été prodigués). Le conseil et l’accompagnement du mentor résonnent comme primordiaux dans ces situations où la solitude intellectuelle peut vous pousser à vous déprécier et à tout remettre en cause. S’imprégner de l’expérience d’une personne étant passée par là et nous donnant l’espoir de changement fera toute la différence dans votre façon d’appréhender ce genre de situation.

Enfin, parlons également de l’impact positif du mentorat sur la solitude. Compte-tenu des statistiques en lien avec la réussite féminine (seules 7% des 500 plus grandes entreprises du monde sont présidées par des femmes), un certain isolement peut être constaté dans le quotidien professionnelle des femmes. Sans parler de ces entrepreneuses courageuses souvent isolées dans leur bataille quotidienne, n’ayant pas d’interlocuteur avisé auquel s’adresser. Le mentorat collectif, réuni au sein de clubs féminins, est également un bon remède à cette entraide salutaire. Car malheureusement, vous aurez beau vous demander ce que Michelle Obama ferait à votre place, vous avez rarement une réponse à cette question hautement critique en temps et en heure.

3. Le mentorat en France versus le parrainage

Si le pouvoir du mentorat n’est pas à démontrer et mis en avant depuis les origines de l’humanité, qu’en est-il au 21ème siècle, dans un monde de l’entreprise qui voit une montée toujours plus significative des femmes demandant du pouvoir, des jeunes ambitieuses prêtes à jouer un rôle décisif dans la gestion de l’économie des sociétés ?

Contrairement, à la culture anglosaxone, le mentor n’est pas culturellement inscrit de manière systémique dans l’entreprise en France. Souvent confondu avec le parrainage (beaucoup plus présent avec plus ou moins d’efficacité), il s’immisce cependant à la fois organiquement et à partir d’initiatives de moins en moins balbutiantes.

De façon organique tout d’abord car le mentorat a toujours existé d’une certaine façon, mais plutôt sous l’angle masculin décrit plus haut. Il porte même un nom « le syndrome du scarabée » ou homophilie naturelle, cette tendance qu’a le top management (souvent masculin) à élever ceux qui leur ressemblent (des jeunes hommes, souvent blancs). Ecoulement naturel qui laisse les femmes sur la paille, ayant peu de modèles qui puissent de la même manière tendre la main. Encore une fois, le mentorat homme/femme existe bel et bien mais à un degré bien faible compte tenu du poids du sexisme. Donc, avec la meilleure volonté du monde, on ne s’extirpe pas de telles chaînes historiques si facilement.

Mais la sortie de la grotte obscure nous est garantie par Platon, donc fort heureusement, des initiatives structurées naissent çà et là pour soutenir le parcours professionnel des femmes. On pourra citer pour les plus jeunes les services de mises en relation entre lycéens et mentors, parmi lesquels des femmes qui travaillent déjà. Certaines entreprises, notamment certaines banques, offrent cette perspective à leur employé comme façon de développer leur soft skills, compléter leur parcours professionnelle ou dans un cadre de bénévolats. Pour les plus âgées, les grandes entreprises s’arment de programme destinés aux femmes avec la mise en relation avec des femmes plus expérimentées jouant le rôle de conseillère ou des ateliers de coaching. Le programme WIL pour Women in Leadership, promu dans plusieurs entreprises en est un bel exemple.

Ces quelques exemples sectorisés sont une bouffée d’air frais dans la carrière des femmes. En revanche, on peut déplorer le peu de couverture encore de ce genre d’initiatives qui se cantonnent principalement à certains grands groupes et demeurent peu communiqués en interne à des échelons plus débutants (à titre d’exemple, le programme WIL est plutôt proposé à des femmes managers ou senior managers). L’étape suivante s’illustrerait dans une systématisation de ce mentorat, dès les premières années de carrière, tout comme l’est déjà le parrainage. Souvent confondu avec le mentor, le parrainage est lui un outil d’intégration qui se concentre bien souvent sur l’aspect administratif. Dans quelques cas, que je ne saurais quantifier, cette relation de parrainage peut se transformer en réel mentorat, bien que ce ne soit pas son but premier.

Conclusion

L’évolution managériale du salariat, et l’ascension de l’entrepreneuriat dans une autre mesure, se modèle par les rapports que les jeunes professionnels parviennent à créer dès le début de leur carrière, les réseaux qu’ils mettent en place et les rencontres qu’ils font. Avec un top management historiquement masculin peinant à se diversifier et s’équilibrer du point de vue du genre, la jeune professionnelle aura parfois du mal à identifier un mentor, notamment si un dispositif dédié n’est pas en place. La cheffe d’entreprise aura elle ce sentiment d’isolement et d’incompréhension qui la mènera souvent à se déprécier et abandonner.

Ceci étant, comment trouver ce mentor si précieux ? Cela fera l’objet d’un prochain article. En attendant, partagez vos expériences en commentaire : avez-vous un mentor ? Si non, est-ce que cela vous manque ?